Le fils d’un des sept fondateurs du Hamas s’est converti au christianisme. Et a travaillé pour le Shin Beth pendant sept ans. Une histoire emblématique du Moyen-Orient d’aujourd’hui.
« Je suis né dans le village de Ramallah, en Cisjordanie. Et j’appartiens à l’une des familles musulmanes les plus pieuses du Moyen-Orient ».
C’est ainsi que, d’emblée, Mosab Hassan Youssef, l’un personnages les plus étonnants que le conflit israélo-arabe ait suscité, se présente à ses lecteurs. Fils de l’un des sept fondateurs du mouvement islamiste Hamas, il a coopéré pendant sept ans avec les services de renseignement israéliens. Converti au christianisme évangélique, il vit aujourd’hui aux Etats-Unis. Et il relate son itinéraire et son expérience dans un livre autobiographique, écrit avec Ron Brackin, le correspondant d’ USA Today et du Washington Times à Jérusalem : Son of Hamas (« Fils du Hamas »). L’ouvrage, qui vient de paraître, n’est disponible qu’en anglais pour l’instant. Une version française devrait bientôt être publiée.
Les populations qu’on qualifie aujourd’hui de palestiniennes appartiennent à quatre grands groupes au moins : les Bédouins nomadisants ou semi-sédentarisés, qui sont probablement les habitants arabes les plus anciens de la région ; les paysans du Haut-Pays cisjordanien ou de Galilée, musulmans ou chrétiens, qui descendent peut-être en partie de Juifs convertis après les conquêtes romaine et arabe ; les habitants du Bas-Pays, sur la côte méditerranéenne, venus au XIXe siècle et au début du XXe, qui ont fourni la plus grande partie des réfugiés de 1948 ; et enfin un prolétariat non-palestinien qui, selon les premières enquêtes de l’Onu, au début des années 1950, se serait agrégé aux réfugiés afin de bénéficier de l’aide internationale en matière alimentaire, médicale ou éducative. Mosab Hassan Yousef situe l’origine de sa famille dans un village de l’ouest de la Cisjordanie, Al-Janiya. Ce qui la rattacherait au deuxième groupe, celui des paysans anciennement établis.
Né en 1978 – l’année où l’Israélien Menahem Begin et l’Egyptien Anouar el-Sadate signent le premier accord de paix israélo-arabe, les accords de Camp David -, Mosab passe le meilleur de son enfance à Al-Janiya. Loin du vacarme de l’histoire, le village, qui ne regroupe que quatre cents habitants, apparaît comme une sorte d’Eden : « Niché sur l’une des collines qui ondulent doucement à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Ramallah, Al-Janiya était un lieu particulièrement tranquille et beau. Ses crépuscules prodiguaient toutes les nuances du rose et du violet. L’air était pur et clair, et la vue plongeait, du sommet de mainte colline, jusqu’à la Méditerranée. » Depuis 1948, la Cisjordanie été successivement occupée par les Jordaniens puis les Israéliens. Mais les habitants « ne s’intéressaient pas à la politique » : la seule chose qui leur importait était de maintenir leur mode de vie ancestral.
Le grand-père de Mosab, Sheikh Yousef Daoud, incarnait cet ordre ancien. Il exerçait les fonctions d’imam, de « chef religieux ». Mais en fait, pour les habitants, il était beaucoup plus que cela : « Il bénissait chaque nouveau-né et lui murmurait à l’oreille l’adhan, l’appel à la prière musulmane. Quand un décès survenait, mon grand-père lavait le corps, l’oignait et l’enveloppait d’un ample vêtement. Il mariait les gens et les enterrait… A quatre heures, chaque matin, il prenait le chemin de la mosquée. Quand il avait fini ses prières, il emmenait petit son âne au champ, travaillait la terre, taillait ses oliviers, et buvait l’eau fraîche d’une source qui descendait de la montagne. »Mosab « adorait » son grand-père : « Sa barbe blanche et douce chatouillait ma joue quand il me prenait dans ses bras. Je pouvais rester assis pendant des heures auprès de lui, à l’écouter psalmodier » les paroles du Coran. « Il le faisait avec une attention extrême, contrairement aux autres hommes de religion. Chaque mot était important à ses yeux. »
Il n’est de paradis dont on ne soit chassé – notamment par la démographie. Les nouvelles générations, de plus en plus nombreuses, ne vivent plus à Al-Janiya. Le propre père de Mosab, Sheikh Hassan Yousef, avait étudié la Sharia, la loi religieuse islamique, à Jérusalem. Il s’était ensuite établi en tant qu’imam d’une mosquée de quartier à Ramallah, au nord de la Ville Sainte. Petit bourg en 1967, lors la conquête de la Cisjordanie par les Israéliens, cette localité était en train de devenir une banlieue « moderne », où les valeurs traditionnelles n’avaient plus cours. Les mosquées étaient vides : les hommes préféraient passer leur temps dans les cafés, à boire de l’alcool, jouer aux cartes ou au tric-trac et regarder des films pornographiques. Mais Sheikh Hassan Yousef, loin de se décourager, entreprend de réislamiser la société par l’exemple : en menant, avec les siens, une vie de piété et de charité, au service du prochain. Cet apostolat le met en contact avec les Frères musulmans, l’une des grandes confréries sunnites. Il va suivre leur enseignement en Jordanie. Quand il revient, il n’est plus un musulman pieux, mais un islamiste. De la religion de paix pratiquée à Al-Janiya, il est passé à la religion du djihad.
« La vie islamique ressemble à une échelle », observe aujourd’hui Mosab Hassan Youssef. « Le premier échelon consiste à prier et à chanter les louanges d’Allah. Les échelons élevés consistent à aider les pauvres et les nécessiteux, à établir des écoles et à soutenir des œuvres charitables. L’échelon le plus élevé, c’est le djihad. » Mais « l’échelle est haute. Rares sont ceux qui en voient le sommet. Le passage d’un échelon à l’autre est progressif, continu, imperceptible… Les musulmans traditionalistes se situent au bas de l’échelle. Au sommet, il y a les intégristes, ces gens qui font la une en tuant des femmes et des enfants pour la gloire du dieu du Coran. Les musulmans modérés sont quelque part entre les deux. En fait, les modérés sont plus dangereux que les intégristes, parce qu’ils ont l’air inoffensifs et que vous ne savez jamais quand il graviront le prochain échelon menant au sommet. La plupart des kamikazes ont commencé par être des musulmans modérés ».
Mais l’adolescent Mosab, quand son père revient de Jordanie, ne peut encore saisir de telles choses. Il voit la piété exemplaire des siens, la douceur et l’abnégation de ses parents, la pureté de ses sœurs. Il voit aussi la révolte : la Première Intifada vient d’éclater. Les Israéliens sont riches, puissants, efficaces. Les Palestiniens pauvres, faibles, désorganisés. Les premiers ont « volé » la terre des seconds : c’est, aux yeux des musulmans, un dogme, un axiome. On les accuse même d’avoir corrompu l’islam, d’être les vrais responsables de l’immoralité, de la violence et de l’ « arrogance » qui accablent la société arabe. Plus l’Intifada s’étend et se radicalise, plus les Israéliens se montrent implacables. Ils instaurent des cessez-le-feu qui durent plusieurs jours. Quiconque sort risque d’être abattu. « Même des enfants ». Ils arrêtent des centaines, des milliers, de jeunes gens et de vieillards. Ils torturent, en prenant soin de ne pas laisser de traces sur les corps de leurs prisonniers.
Sheikh Hassan Yousef est, en 1987, l’un des sept fondateurs du Mouvement de la Résistance islamique palestinienne, plus connue son acronyme arabe : Hamas. Un mouvement islamiste lié aux Frères musulmans qui se pose d’emblée comme le rival du Fatah, le mouvement palestinien « officiel » de Yasser Arafat, issu lui aussi de l’islamisme mais compromis avec le nationalisme arabe laïque de Nasser et le communisme. Les Israéliens l’arrêtent, le torturent, ne parviennent pas à le briser, le relâchent, l’arrêtent à nouveau. Cela dure dix ans. Mosab découvre d’étranges choses. Quand son père est libéré, chacun lui rend hommage. Quand il est emprisonné, personne ne vient en aide à sa mère ou aux enfants, pourtant sans ressources. Même pas les parents proches. Mais ces amères constatations ne font que renforcer ses sentiments de révolte. Et ceux-ci ne peuvent avoir qu’une seule cible : Israël, l’ennemi de son père, qui doit donc être le sien. Les accords d’Oslo, qui semblent préparer une paix entre Israël et Arafat, lui apparaissent comme une trahison. Et les premiers attentats suicide, organisés par le Hamas ou d’autres organisations islamistes, comme une promesse de victoire.
En 1986, moitié par conviction, moitié par bravade, Mosab acquiert des armes. Les Israéliens le repèrent rapidement et l’arrêtent. Ou plus exactement, le kidnappent en pleine rue, le rouent de coups et l’enferment dans la prison de la Moskobiyah, à Jérusalem : un ancien couvent orthodoxe, avec ses cellules, ses couloirs labyrinthiques, ses puits, ses oubliettes, ses salles d’interrogatoire. Pour eux, le doute n’est pas permis : le fils d’un des fondateurs de Hamas était en train de monter un réseau terroriste en Cisjordanie. Il faut donc le casser à tout prix. Ou, qui sait, le « retourner ».
La description que Mosab Hassan Yousef donne de cette expérience est passablement terrifiante. A ceci près que la Moskobiyah, puis la prison de Megido, où il est ensuite transféré, ne sont ni des Loubiankas, ni des rues Lauriston, ni des geôles iraniennes, ni même des Abou Ghreib : les Israéliens, d’après son témoignage, torturent mais ne pratiquent pas de sévices sexuels, ni ne tuent. Leur but n’est pas sadique mais utilitaire. S’ils recourent aux contraintes physiques, ils préfèrent, autant que possible, les pressions psychologiques. Et de fait, en ce qui concerne Mosab, leur technique donne des résultats. Le jeune homme cède. Il accepte de travailler pour le Shin Beth, le service israélien de sécurité intérieure. En se promettant de tuer, à la première occasion, ses officiers traitants.
Mais les Israéliens ne le libèrent pas : « Ce serait le moyen le plus sûr de te désigner à la suspicion générale », lui expliquent-ils. Mosab passe donc par le même cursus que les autres détenus : ils le ramènent à la Moskobiyah,puis l’envoient au miv’ar, une sorte de prison préventive, avant de l’affecter, après un procès où une cour militaire le condamne pour le délit qu’il a effectivement commis – possession illégale d’armes susceptibles d’être utilisés à des fins terroristes -, aux quartiers « réguliers » de la prison de Meggido, où il purgera sa peine. Les conditions d’incarcération y sont conformes aux « droits humains » occidentaux. Les prisonniers y vivent dans des conditions relativement confortables, sont bien nourris, peuvent organiser eux-mêmes leurs activités. Ils disposent de livres, d’une télévision collective. Ils peuvent prier, étudier le Coran, entreprendre des études à caractère scientifique ou universitaire.
Les détenus sont regroupés en fonction de leur idéologie. Les islamistes avec les islamistes, le Fatah avec le Fatah, les gauchistes avec les gauchistes. Méthode classique : diviser pour régner. Mais aussi prise en compte de facteurs plus profonds : un Palestinien n’adhère pas à titre individuel à telle ou telle autre organisation, mais en fonction des choix de sa famille, de sa tribu, de son village. Le résultat pratique, cependant, c’est qu’un détenu est en quelque sorte deux fois prisonnier : des Israéliens, mais aussi de l’organisation dont il se réclame. Dans le cas du Hamas, cela peut se traduire par de petites contraintes : le réveil obligatoire pour la première prière dès quatre heures du matin, ou une censure « voilant » la télévision, à l’aide d’un guillotine en bois, à chaque fois qu’une femme en cheveux apparaît à l’écran. Mais aussi par des pratiques bien plus atroces.
Mosab découvre, effaré, que les dirigeants Hamas de la prison torturent certains détenus, sélectionnés en raison de leur « faiblesse » : c’est-à-dire, en termes arabes, par leur pauvreté et l’absence d’appui familiaux qui pourraient les protéger. Ces pauvres hères sont martyrisés la nuit, dans un recoin du dortoir, jusqu’à ce qu’ils acceptent de signer des « confessions » où ils avouent de longues séries de crimes sexuels : adultère, homosexualité, inceste, zoophilie. Ces confessions sont ensuite distribuées dans leur village ou localité d’origine, ce qui équivaut à une condamnation à mort morale. Mosab, respecté en raison de son père et de son niveau intellectuel, sert bientôt de « sécrétaire » lors de ces tortures : il rédige les dépositions des malheureux. Ce qui lui permet de mesurer l’atrocité du procédé.
A quoi servent ces pratiques ? Mosab n’exclut pas, chez beaucoup de tortionnaires, la recherche de « jouissances perverses ». Mais l’opération est aussi un instrument de terreur : chacun redoute d’être torturé à son tour et de devoir signer des confessions déshonorantes. Et enfin, en dernier ressort, les individus « exécutés », ou leur proches, non moins déstabilisés, sont souvent prêts à se racheter en acceptant une mission suicide…
Ce dont Mosab est sûr, c’est que cela n’a rien à voir avec la foi et la piété simples qu’incarnaient son grand-père et même son père. Quand il sort enfin de prison et qu’il rencontre son contact israélien, un officier nommé Loai, il n’a plus envie de le tuer. Mais de comprendre. Il demande à Loai si les Israéliens savent que le Hamas torture ses hommes : « Oui », répond ce dernier. « Nous savons tout. »
-Mais alors, pourquoi n’intervenez-vous pas ?
-Ce n’est pas à nous d’apprendre aux gens du Hamas de s’aimer les uns les autres… Et puis franchement, nous espérons que certains Palestiniens se rendent compte du comportement réel de leurs chefs.
-Bon, d’accord. Alors quelle sera ma première mission ?
-Reprendre tes études.
Sur le moment, cette réponse paraît « incroyable » à Mosab. Il comprend ensuite que « pour les Israéliens, c’est là un investissement ». Il vaut mieux, pour eux, « travailler avec une personne éduquée ». Surtout quand elle gravite au cœur même du Hamas. Ses contacts, au sein du Shin Beth, ne le brusquent jamais : « Quand je les rencontrais, ils se montraient toujours respectueux de ma personnalité et de ma religion. Ils me demandaient si je voulais m’interrompre pour faire l’une des cinq prières musulmanes quotidiennes. Ils ne me servaient jamais de nourriture ou de boisson contraires à la loi islamique. Ils respectaient en ma présence les codes de la politesse arabe… D’après ma culture, ils étaient des ennemis que je devais haïr. Mais moi, je voyais en eux des hommes. Ils me paraissaient finalement plus proches de mon père que la plupart des Palestiniens que je connaissais. »
Ce n’est qu’à la fin de l’année 2000, lors du déclenchement de la Seconde Intifada, que Mosab commence à travailler réellement pour les Israéliens. Cette crise, mise en scène par Arafat, lui paraît « absurde » : les Israéliens n’avaient-ils pas accepté ce qu’il demandait depuis les accords d’Oslo, la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale ? Pourquoi, dès lors, verser à nouveau le sang juif et le sang arabe ? Les attentats suicide – qui tuent souvent des civils palestiniens en même temps que des Israéliens - le révulsent. Quand il interroge son père à ce sujet, ce dernier ne sait pas lui répondre.
Peu à peu, Mosab accepte donc de transmettre au Shin Beth des renseignements de plus en plus précis sur la structure du Hamas et de sa branche armée, sur les attentats en préparation, sur les « planques » où se terrent les chefs opérationnels. C’est la mission que les spécialistes du renseignement qualifient, en reprenant un terme américain, d’ « Humint » (Human Intelligence : renseignement humain, par opposition à la surveillance électronique). Elle peut aller jusqu’à guider les commandos israéliens vers leur cible, par portable, en vue d’une arrestation ou d’une exécution. Mosab ne met que deux conditions à sa coopération : elle doit se limiter aux opérations antiterroristes ; et son père, en dépit de son rang au sein du Hamas, doit être épargné. « Pas de problème sur le premier point », disent les Israéliens. Le second point est plus délicat : si le Shin Beth neutralise tous les chefs du Hamas sauf Sheikh Hassan Yousef, celui-ci va être soupçonné. Mosab trouve la parade : faire arrêter son père… Et lui servir de messager dans ses contacts avec la direction clandestine du Hamas, ce qui lui permet de collecter plus d’informations encore. D’une pierre deux coups.
Les pages consacrées aux raids antiterroristes – comme l’élimination de « l’Ingénieur », Yahia Ayash, un génie de la miniaturisation qui a mis au point les bombes presque indécelables que les kamikazes portent sur eux - se lisent comme un thriller. On finit cependant par comprendre qu’elles ont été rédigées de façon à ne rien révéler sur le fonctionnement réel des commandos israéliens. Ce qui retient plus nettement l’attention, c’est le récit de la conversion de Mosab au christianisme.
Chacun sait que Saül de Tarse rencontre le Christ sur le chemin de Damas, et devient ainsi l’apôtre Paul. C’est à la porte de Damas, dite aussi de Saint-Etienne, l’une des portes monumentales de la Vieille Ville de Jérusalem, qu’un missionnaire protestant anglais propose au jeune Palestinien, deux mois à peine après sa sortie de prison, d’assister à une conférence qui doit se tenir le soir même à l’YMCA, en face de l’hôtel King David. Mosab y va. Ce qu’il y entend l’amène à lire le Nouveau Testament. La personnalité de Jésus l’impressionne. Mais surtout, il tombe en arrêt, dans l’Evangile, devant cet enseignement : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (Mathieu, V, 43-45). « Je n’avais jamais entendu une idée pareille. Mais je sus immédiatement que c’était le message que j’avais attendu toute ma vie. Je m’étais toujours demandé qui étaient mes ennemis. Je les avais cherchés en dehors de l’islam et de la Palestine. Mais désormais je comprenais que les Israéliens n’étaient pas mes ennemis. Ni le Hamas d’ailleurs. Le seul ennemi des hommes, c’est la noirceur du Diable qui vit en eux. »
Sa conversion, Mosab la vit d’abord sur un plan purement éthique. L’idée de la divinité de Jésus lui est « incompréhensible ». Mais peu à peu, l’éthique le mène à la foi. Au point de souffrir de ne pouvoir être baptisé et se déclarer ouvertement chrétien, pour des raisons de sécurité évidentes. Finalement, une jeune Américaine le baptisera en secret, mais en pleine conformité avec la discipline de son Eglise : par immersion, sur la plage de Tel-Aviv !
Les chrétiens « historiques » de Terre sainte, issues d’Eglises très anciennes sinon de la première communauté judéo-chrétienne, mais arabisés, ont soutenu au XXe siècle les nationalismes panarabe, pansyrien et palestinien, notamment à travers des organisations palestiniennes d’extrême-gauche comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) du grec-orthodoxe George Habbache et le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) du Bédouin chrétien jordanien Nayef Hawatmeh. Au début du XXIe siècle, bon nombre d’entre eux sont devenus plus circonspects, en raison de la montée de l’intolérance chez les musulmans. Mais les « nouveaux chrétiens » arabes, convertis récents d’origine musulmane, ont plutôt tendance à soutenir l’Etat juif, pour des raisons à la fois pragmatiques et « prophétiques » : le cas de Magdi Cristiano Allam, Egyptien musulman baptisé par le pape Benoît XVI, devenu eurodéputé catholique italien et auteur d’un livre intitulé Viva Israele (« Vive Israël »), est révélateur.
Mosab Hassan Yousef a certainement trouvé pendant un certain temps dans sa nouvelle foi chrétienne des raisons supplémentaires de coopérer avec le Shin Beth. Mais finalement, il se lasse de ce rôle : ce qu’il voudrait, au delà du contre-terrorisme, c’est contribuer à un vrai rapprochement entre Palestiniens et Israéliens. En 2005, peu de temps avant son baptême, il persuade son père, sorti de prison, de lancer un appel pour un cessez-le-feu durable. D’autres dirigeants du Hamas font dérailler l’initiative en provoquant de nouvelles violences. Pour Mosab, c’en est trop. Il fait savoir à ses contacts israéliens qu’il veut quitter le Moyen-Orient. Le Shin Beth tente de le faire revenir sur sa décision, lui propose de l’installer à la tête d’une start-up palestinienne en Cisjordanie. Un des directeurs de l’agence lui révèle que son nom de code est « le prince vert » et lui confirme qu’il vaut « plus qu’une armée » à lui tout seul. Mosab persiste dans sa décision. Il s’installe bientôt aux Etats-Unis, avec l’aide d’amis chrétiens.
Avant de publier son livre, il a appelé son père pour tout lui révéler et lui expliquer : non seulement sa conversion – crime majeur selon l’islam – mais aussi sa « collaboration » avec Israël. « Tu es toujours mon fils », lui a dit Sheikh Hassan Yousef à propos de la conversion ; sur la « collaboration », il gardé le silence. « Tu seras toujours mon père », a répondu Mosab.
Mosab Hassan Yousef, « Son of Hamas », SaltRiver/Tyndale 2010. 265 pages. 12,50 euros pour l’édition brochée chez Village Voice, la librairie américaine de Saint-Germain des Prés (www.villagevoicebookshop.com).